IPv6, je t'aime mais tout le monde s'en fout

Mes premières expériences avec IPv6 datent de 1999. Je me souviens d’une nuit où un habitué du canal de l’époque, bedlam si mes souvenirs sont bons, rejoint #GCU avec un netmask en 3ffe::, le prefixe alloué au 6bone, un réseau de test IPv6 arrêté en 2006.

Obsessif que je suis, je m’étais lancé corps et âme dans l’aventure, raccordé via freenet6 (société aujourd’hui appelée gogo6) et muni de mon O’reilly IPv6 théorie et pratique, aujourd’hui consultable en ligne.

IPv6, c’était pour demain. 2001, Chez ISDnet, nous disposions d’un /28 IPv6 raccordé au 6bone, propre, validé, nous étions prêts. Au plus tard, le grand mouvement était imminent, 2003 tout au plus. Nous rencontrions des boites spécialisées dans la migration et le matos, toutes passionnées, toutes affirmatives: IPv6, c’était pour demain.

Nous sommes en 2013. Je dispose, dans le réseau d’hébergement de ma boite, de deux préfixes IPv6 officiels. Ça fonctionne, rien à dire. 11000 routes dans la table de routage contre 430000 en IPv4 :

La latence est correcte, les services répondent bien, pas de soucis. En datacenter, dans le coeur de réseau, c’est ni-ckel.

Et finalement, c’est là que le bât blesse: IPv6, ça marche bien dans le cœur de réseau, entre admins qui se tirent la nouille, mais devinez quoi, j’habite pas dans une salle blanche.

Chez moi, je dispose d’une bête ligne Free qui m’octroie gracieusement un mirobolant /64 IPv6 non routable dans mon réseau interne sans passer par de vieilles bidouilles dignes des années 90. Et lorsque j’“active” l’IPv6 sur ma passerelle (comprendre que je re-place une route par défaut IPv6 et que je démarre rtadvd)… ça rame. Tout rame. L’accès aux sites IPv6-ready bien sûr, et parmis eux Google, mais également l’intégralité de n’importe quel bureau moderne qui d’une façon ou d’une autre enchaîne les gethostbyname() ainsi qu’une foule d’autres requêtes vers le réseau Internet IPv6, puisque la priorité, lorsque vous disposez d’une double pile IPv4-IPv6 va en préférence au v6.

Je suis actuellement raccordé au réseau IPv6 via le tunnel broker Hurricane Electric et ce n’est guère mieux, rien de surprenant puisque quand bien même ces derniers disposent d’un réseau de belle facture, il s’agit malgré tout d’un tunnel, muni de ses propres latences, mais qui a ce gros avantage d’être plus souple puisque HE fournit un /48 à ses “abonnés” (l’inscription est gratuite).

“Mais ou veut-il en venir ? Vous demandez-vous peut-être. Et bien la trame est simple, IPv6, malgré tous les efforts d’évangélisation des différents RIR, RIPE en tête, malgré le prosélytisme des administrateurs réseau, malgré la pénurie (l’absence !) d’adresses IPv4 supplémentaires: tout le monde s’en fout. En particulier, nos FAI bien aimés, bien trop occupés à se mettre sur la gueule. Résultat ? IPv6, pour le moment, ce n’est rien de plus qu’un jouet d’admin.

Update: et suite à ce billet, je me permet de copier ici la réponse d’Octave, monsieur OVH, qui a le mérite d’être clair: @iMilnb rien qu’en France chaque FAI a un stock d’IPv4 qui lui permet de doubler le nombre d’abonnés. IPv6 ? on se détend, c’est l’apéro ;)

Une bien belle conclusion. IPv6, c’est pas pour demain.